samedi 22 janvier 2011

L'oeil pour toucher

The lonely metropolitan, Herbert Bayer, 1932

Ce montage photo de Herbert Bayer, réalisé en 1932, semble faire écho à mon commentaire précédent.  Les yeux maintenant logés dans les mains servent à toucher le monde.  Ce sont les yeux qui manipulent les outils qui nous permettent de construire notre société.  La main qui la première saisit un outil et modifia son environnement se fait maintenant usurper sa place par l'oeil.  L'oeil qui comprend le monde via les images sans cesse reproduites par de nouveaux outils.  Les écrans, les symboles, les affiches meublent notre environnement et nous finissons par ne voir que ces images et non ce qu'il y a derrière.

C'est le syndrome du cockpit du pilote comme le présente J. Baudrillard.  Notre rapport au monde se fait par l'entremise d'un outil, d'un symbole.  Tout comme l'altimètre du pilote lui indique son altitude sans qu'il ait à regarder dehors, nous nous fions à la lumière verte à l'intersection pour savoir que la voie est libre, nous ouvrons le téléviseur pour savoir ce qui se passe ailleurs en ville, dans la province, sur le globe.  Pour prendre des nouvelles de nos amis, nous allons voir leurs photos sur Facebook.  Bref, entourés de murs d'images, nous devenons tranquillement aveugle au monde autour.

Nous sommes devenus experts à décoder les images, au point où le monde non médiatisé peut souvent apparaître chaotique, désordonné, insensé.  Nous donnons sens aux choses par les images, nous les ordonnons à l'intérieur d'un cadre, restreint, qui place une distance entre nous et le monde, créant un nid confortable, mais illusoire.  Et tout comme sur la photo de Bayer, ces mains-yeux, paumes ouvertes, ne sont pas tournées vers le monde, mais vers nous.  Alors que nous pensons regarder au loin, vers l'inconnu, vers le nouveau, vers l'altérité, nos yeux sont en fait fixés sur nous.

Ces outils ne sondent pas le monde, mais notre propre société, qui se referme sur elle-même, protégée par une barricade d'images. La main-oeil construit les mêmes images qu'elles regardent.  Et tel Narcisse, nous tombons amoureux de nos propres images...  Mais subirons-nous le même sort que ce dernier?

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