vendredi 21 janvier 2011

Une image pour comprendre

Je suis tombé sur ce reportage du Code Chastenay à Télé-Québec et, curieusement, il rappelle quelque peu les discussions que nous avions eu lors du dernier séminaire.  Il traite de la volonté scientifique de photographier un électron.  Le problème est qu'il est si rapide, qu'il est impossible de faire un flash assez bref pour immobiliser l'électron.  Bref, ce que je trouve intéressant de cette problématique scientifique est que tout comme avec les projets de Edgerton, c'est par l'image, par la médiatisation du réel que notre regard peut se poser sur une chose qui autrement demeure invisible.  Les chercheurs ont besoin de voir l'électron pour le comprendre et ce regard doit se faire via un outil, via une médiatisation.  C'est d'ailleurs un trait dominant de notre civilisation que de comprendre par l'image.  Cette impression de saisir entièrement un phénomène lorsqu'on réussit à le "capturer" dans une image.  Je vous laisse le lien pour voir le reportage qui dure environ un dizaine de minutes.


Un autre lien qui retrace rapidement l'apport de la photographie dans la découverte scientifique et qui illustre cette volonté de toujours réduire la durée d'exposition pour isoler les différents moments d'un mouvement.  De Muybridge et le cheval au galop aux recherches physiques sur l'atome et la quête de la photo en une attoseconde.


Ce qui est intéressant entre les recherches de Muybridge et les recherches récentes présentées dans le documentaire est que dans les deux cas, on cherche à fragmenter le mouvement pour le comprendre.  Notre vision du mouvement apparaît alors d'une toute nouvelle façon.  Cette fragmentation est une certaine forme de rupture épistémologique dans notre conception de l'image.  Avant de séparer le mouvement en une série de petits gestes, le galop du cheval ou le vol de l'oiseau était perçu comme un seul et même geste, mais maintenant, tout mouvement peut être réduit à une suite de moments "immobiles" qui s'agencent pour former un mouvement.  Ce qui est sans aucun doute à l'origine du cinéma d'animation, sujet sur lequel je reviendrai souvent sur ce blogue puisqu'il est au centre de ma recherche.

Mais cette volonté de tout décomposer en petites unités n'est pas exclusif à l'image, bien qu'elle en soit souvent le vecteur.  Les recherches physiques ne se fondent pas sur les images pour comprendre les molécules de la matière, mais en passant par l'imagerie de ces molécules, la science semble mieux saisir son objet.  L'image peut donner une "matérialité" à ce qui apparaît "immatériel" car invisible dans la matière.  Si l'on prend un morceau de bois, il est assez aisé de palper sa matérialité, mais l'existence de molécules, d'électrons ou de neutrons est difficilement vérifiable.  Ils sont carrément invisibles, donc au premier abord, ils ne sont pas matériels.  En réussissant à faire une image de ces molécules de bois composées d'atomes et d'électrons, ils "surgissent" de l'invisibilité et prennent forme.  Ils deviennent matériels, au point où la science devient de plus en plus apte à les manipuler.  Mais sans cette image, ils ne sont que spéculations et restent presque impossibles à saisir.

Bref, le monde de l'image dédouble le monde sensible en ajoutant des couches de perceptions qui dépassent nos sens.  Notre compréhension du monde devient super-sensible puisque nous avons des outils qui accentuent constamment nos sens et surtout celui de la vue.  Peut-être qu'un jour ces outils deviendront carrément nos yeux et nous scruterons alors un monde que personne aujourd'hui n'a encore vu.

1 commentaire:

  1. Ton texte est intéressant et soulève au moins deux aspects : celui, plus complexe, de l’impossibilité d’utiliser des mécanismes pour saisir un phénomène de nature quantique, ni même de pouvoir compter sur notre rôle d’observateur (voir le chat de Schrödinger).
    L’autre, c‘est la possibilité de nous montrer quelque chose alors que l’on pense qu’il n’y avait rien à voir. Pensons aux images de galaxie, dont le traitement permet de «révéler» les nuées d’étoiles qui la composent.
    Petite correction : le spécialiste des images à haute vitesse est Edgerton, et non Engleton.

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